Up & down

Faut-il pour être un artiste de talent et d’exception être une sorte de Van Gogh ? Un artiste maudit, qui souffre, galère et ne verra que rejet tout au long de sa vie pour finalement peut-être voir son travail reconnu de façon posthume ? Non, l’on peut être un artiste qui crée, vit, et s’épanouie dans son activité. Mais il est vrai que nous passerons parfois par des moments de fort découragement, des épreuves, des difficultés, des égarements, des erreurs, des mauvais choix. Alors comment dépasser ces moments là ?

L’histoire du prophète Jonas peut nous inspirer et nous encourager. C’est l’une des histoires les plus connues au monde. En voici l’introduction :

La parole de l’Éternel fut adressée à Jonas, fils d’Amitthaï, en ces mots: Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle! car sa méchanceté est montée jusqu’à moi. Et Jonas se leva pour s’enfuir à Tarsis, loin de la face de l’Éternel. Il descendit à Japho, et il trouva un navire qui allait à Tarsis; il paya le prix du transport, et s’embarqua pour aller avec les passagers à Tarsis, loin de la face de l’Éternel. Mais l’Éternel fit souffler sur la mer un vent impétueux, et il s’éleva sur la mer une grande tempête.

Jonas 1:1-5


L’errance

Le prophète que Dieu appelle depuis Jérusalment reçoit donc la mission de partir vers l’Est pour se rendre à Ninive demander à la population de changer de comportement avant qu’elle ne subisse les conséquences de ses mauvais choix et peut-être sa destruction. Mais Jonas, par un acte de désobéissance, part dans l’exacte direction opposée, vers Tarsis (probablement une ville en Espagne, en tous cas une ville à l’ouest de l’autre côté de la mer). Le prophète refuse d’entrer dans l’appel et la mission qui lui sont donnés. Il est déprimé, préfère fuir, se cacher, dormir, désobéir et même demandera plus tard dans l’histoire à mourir plutôt que de devoir obéir.

Dans cette désobéissance, il va se retrouver tout d’abord en fond de cale dans le bateau, puis ensuite au fond de l’eau, dans les profondeurs même de l’océan, dans les abysses.

La désobéissance, le refus, la fuite, l’errance, sont des thèmes très fréquents en art, car ce sont des situations très courantes dans nos vies. Et Dieu connaît chacuns de nos égarements, chacuns de nos choix, chacunes de nos motivations. Il connaît notre chemin personnel, nos voies. Il connaît le nombre exact de cheveux sur nos têtes, nos pensées et nos paroles avant même que nous ne les prononcions.

Tu comptes les pas de ma vie errante; Recueille mes larmes dans ton outre: Ne sont-elles pas inscrites dans ton livre?

Psaume 56:8

​Exactement comme les applications de nos smartphones qui sont capables de connaître le nombre exact de nos pas chaque jours et les battements de nos coeurs, Dieu connaît chacun des pas que nous prenons, même lorsque ce sont des pas qui nous éloignent de lui. Il note dans son journal (intime) le nombre précis de ces pas, et compte aussi chacunes des larmes que nous versons. Il connaît nos souffrances les plus profondes, nos peurs et nos tristesses.


Enfin, il connaît le chemin du retour vers lui, car notre plus grand désir, au coeur de notre désobéissance, c’est de revenir à lui et trouver le chemin qui nous ramènera à la maison. Dans nos errances, dans nos fuites, on cherche en fait un moyen de revenir au Père.

Où en sommes-nous dans notre chemin ? Avons-nous perdu notre voie ? Sommes-nous dans une errance, dans une recherche ? Parfois un accident, un drame, un choc, un mauvais choix, une lente glissade nous font nous perdre et nous éloigner. Parfois l’on touche le fond comme Jonas, l’on est perdu, découragé, l’on veut abandonner, on est au plus bas, au plus profond, au plus sombre. L’on se sent environné de ténèbres, l’on vit le rejet, l’incompréhension, une forme de mort. Tout semble perdu. Et pourtant c’est bien souvent là, dans ce point le plus bas de nos vies que l’on peut appeler Dieu au secours, le connaître et le rencontrer.

Lisons la suite de l’histoire, lorsque Jonas du fond de la mer prie Dieu :

Jonas, dans le ventre du poisson, pria l’Éternel, son Dieu. Il dit: Dans ma détresse, j’ai invoqué l’Éternel, Et il m’a exaucé; Du sein du séjour des morts j’ai crié, Et tu as entendu ma voix. Tu m’as jeté dans l’abîme, dans le coeur de la mer, Et les courants d’eau m’ont environné; Toutes tes vagues et tous tes flots ont passé sur moi. Je disais: Je suis chassé loin de ton regard! Mais je verrai encore ton saint temple. Les eaux m’ont couvert jusqu’à m’ôter la vie, L’abîme m’a enveloppé, Les roseaux ont entouré ma tête. Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes, Les barres de la terre m’enfermaient pour toujours; Mais tu m’as fait remonter vivant de la fosse, Éternel, mon Dieu! Quand mon âme était abattue au dedans de moi, Je me suis souvenu de l’Éternel, Et ma prière est parvenue jusqu’à toi, Dans ton saint temple. Ceux qui s’attachent à de vaines idoles Éloignent d’eux la miséricorde. Pour moi, je t’offrirai des sacrifices avec un cri d’actions de grâces, J’accomplirai les voeux que j’ai faits: Le salut vient de l’Éternel. L’Éternel parla au poisson, et le poisson vomit Jonas sur la terre.

Jonas 2:2-10

Lorsque nous sommes au fond du trou, nous ne sommes pas seul. Si l’on invoque son nom, alors Dieu vient se révéler à nous dans nos souffrances, et nous permettre de voir à nouveau la sortie, la lumière, la vie, les sommets.

Donner l’histoire au complet

Les sommets de nos vies, ce sont souvent les Everest, les points culminants, les points les plus hauts, que nous sommes habitués à voir et à admirer en nous-mêmes ou chez les autres, à espérer et rechercher pour nos propres vies. Seulement ces sommets, comme dans les reliefs du globe terrestre, sont en lien étroit avec les fonds marins, ils trouvent leur racines sous l’eau, dans les profondeurs de la mer, dans les zones d’obscurité et de ténèbres. Pour nos vies personnelles aussi, c’est souvent dans nos plus grands découragements, nos plus grandes souffrances, que vont naître nos plus grands succès, nos plus grandes entreprises. Ils sont reliés, connectés.

Notre culture nous trompe souvent en nous racontant seulement la moitié de l’histoire. En ne montrant que les sommets, sans beaucoup présenter les abysses. Or c’est une chose qu’en tant que chrétien nous devrions toujours garder vivante : affirmer que notre nature humaine est double, duale. A la fois capable du meilleur comme du pire, à la fois déchue et inspirée. Nous ne devrions pas avoir peur des failles de nos vies, ni nous y complaire non plus en pensant que seul l’échec et les ténèbres sont notre quotidien, mais nous devrions réussir la synthèse, raconter l’histoire au complet, relier les deux extrémités : les abysses et les sommets. Raconter comment l’on a pu connaître de forts échecs et découragements, mais raconter comment la remontée et la sortie vers les sommets est possible.

Dieu n’a pas peur de l’obscurité et des ténèbres. Il amène sa lumière et éclaire chacune de ces zones d’ombre. Rien n’est trop caché ou ténébreux pour lui. Il n’y a qu’à lire la Bible, et voir que rien n’est censuré, aucun des manquements, des désobéissances, des erreurs, des horreurs ne sont tues. Dieu n’a pas peur de décrire et voir en face la réalité de l’homme déchu et des monstruosités qu’il peut commettre. Ceux qui sont effrayés par cette exploration des profondeurs, ce sont nous les hommes.


Pendant de longs millénaires les peuples se sont presque toujours tenus éloignés des mers. A part quelques explorateurs et marchands, les océans étaient un lieu effrayant. La tradition biblique se représente la mer comme le séjour des morts peuplé de monstres marins, habité par le Léviathan. Pourtant les océans représentent les 2/3 de la surface de notre planète, une surface que l’on a ignoré le plus souvent, ou alors qui n’était connue qu’en surface et pas en profondeur. En dessous de 500 mètres de profondeur, la lumière ne passe plus, et c’est un monde d’obscurité et de silence, un monde mort d’une certaine façon. Il a fallu attendre les temps moderne, l’invention du télégraphe puis du téléphone, pour qu’en tirant des câbles sous-marins de continent à continent, l’on réalise l’étendu des fonds marins. Aujourd’hui, la cartographie de ces fonds est dressée. L’on connaît le relief sous-marin, l’on sait que contrairement à la représentation que l’on en a eu pendant des siècles, il ne s’agit pas d’un fond plat et uniforme, mais qu’on y trouve du relief : des montagnes, des plaines, des plateaux, des crevasses, des failles, des abysses. L’on sait maintenant qu’il s’agit d’un monde en soi avec une faune et une flore en grande partie inconnue, qui peut résister à d’immense pressions et survivre dans l’obscurité ou encore produire une luminescence.

De même, nous aussi nous devrions pouvoir nous pencher à l’intérieur de nous-même et réaliser une sorte de carte mentale de nos paysages intérieurs, de nos vies, nos souffrances, nos échecs, nos terreurs. Comme nous le disions en introduction au sujet de Van Gogh, il ne s’agit aucunement de plonger des un gouffre destructeur pour, seul et incompris, finir par se suicider. Mais il s’agit toutefois, lorsque les circonstances nous l’imposent, d’explorer qui nous sommes avec authenticité et saisir la profondeur de notre nature humaine, parfois jusque dans ses aspects les plus sombres. Pas pour s’y complaire, pas pour l’idolâtrer, mais pour savoir que cette exploration est parfois le point de départ de ce qui serra notre remontée et nos sommets. Pour donner l’histoire au complet. Si nous ne nous connaissons pas nous-même, ni la nature humaine, comment pourrions nous nous exprimer et nous faire connaître des autres au travers de notre création artistique ?


Être un signe prophétique pour son temps

Cette histoire de Jonas est prise en exemple par Jésus :

Alors quelques-uns des scribes et des pharisiens prirent la parole, et dirent: Maître, nous voudrions te voir faire un miracle.

Il leur répondit: Une génération méchante et adultère demande un miracle; il ne lui sera donné d’autre miracle que celui du prophète Jonas.

Car, de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson, de même le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre.

Les hommes de Ninive se lèveront, au jour du jugement, avec cette génération et la condamneront, parce qu’ils se repentirent à la prédication de Jonas; et voici, il y a ici plus que Jonas.

Matthieu 12:38-42

​ C’est étonnant de réaliser que le signe prophétique que Jésus choisit pour parler à sa génération n’est pas l’un des grands moments de réussite de l’un ou l’autre des prophètes de l’ancien testament. Certains d’entre-nous aurions probablement choisit un moment glorieux comme signe emblématique : un miracle, une guérison, une révélation, un exploit incomparable, une heure de gloire. Mais le signe que Jésus donne est celui des jours que dans sa désobéissance le prophète a passé loin de Dieu, dans sa fuite, dans un séjour au plus loin de la lumière et au plus profond de son histoire. La grandeur, la gloire de ce signe, c’est qu’il a lui aussi entrepris cette descente dans les coin les plus reculés du monde, de nos vies et de nos histoires. Là où beaucoup pensait qu’il était défait, il ouvrait au contraire une possibilité de venir nous rejoindre là où nous nous tenions. Loin de lui, perdu dans l’obscurité et nos ténèbres intérieurs, nous étions submergés, entourés par la mort, mais il est venu à notre rencontre pour nous relever du pire de notre humanité et nous élever avec lui. Cela signifie aussi que pour nos vies d’artistes, certains des moments les plus durs et difficiles, certains même de nos mauvais choix, de nos désobéissances, de nos errances vont constituer le message qui va être en mesure de toucher et de rejoindre nos contemporains, notre prochain, notre génération. Ce sont ces abysses qui seront nos sommets. ​

Trois pistes de prière

Père, tu connais chacun de mes pas, chacune de mes larmes, même les pas de ma vie errante. Remplis-moi de ton amour et ta présence. J’ouvre mon coeur à ta consolation et souhaite que tu guides à nouveau mon chemin pour me ramener à la maison.

Père, je t’invite dans les zones les plus sombres de ma vie, je crie vers toi pour que tu me délivres et me sauves, que tu me rejoigne dans ces souffrances pour me relever et m’emmener vers les sommets.

Père, fais de moi un signe prophétique pour ma génération.